« Il était une Forêt » au cinéma le 13 novembre 2013
Avec son nouveau film Luc Jacquet nous emmène dans un extraordinaire voyage au plus profond de la forêt tropicale, au cœur de la vie elle-même.
Pour la première fois, une forêt tropicale va naître sous nos yeux. De la première pousse à l’épanouissement des arbres géants, de la canopée en passant par le développement des liens cachés
entre plantes et animaux, ce ne sont pas moins de sept siècles qui vont s’écouler sous nos yeux.
Depuis des années, Luc Jacquet filme la nature, pour émouvoir et émerveiller les spectateurs à travers des histoires uniques et passionnantes. Sa rencontre avec le botaniste Francis Hallé a donné
naissance à ce film patrimonial sur les ultimes grandes forêts primaires des tropiques, au confluent de la transmission, de la poésie et de la magie visuelle.
IL éTAIT UNE FORÊT offre une plongée exceptionnelle dans ce monde sauvage resté dans son état originel, en parfait équilibre, où chaque organisme - du plus petit au plus grand – connecté à tous
les autres, joue un rôle essentiel.
Un voyage, là où tout commence
Le cinéma de Luc Jacquet s’est révélé partout dans le monde à travers LA MARCHE DE L’EMPEREUR, bouleversante histoire des manchots sur la banquise.
Il nous a ensuite plongés au cœur d’une amitié hors du commun entre une petite fille et un renard, abolissant toutes les frontières entre l’homme et la nature : LE RENARD ET L’ENFANT.
Aujourd’hui, Luc Jacquet nous invite à découvrir un univers d’une incroyable luxuriance : les forêts tropicales primaires. Depuis des millénaires les forêts évoluent sous nos yeux, en toute
discrétion, protégeant leurs secrets dans leur apparente immobilité.
Ils naissent minuscules mais deviendront des géants. On les croit immobiles, et pourtant ils voyagent. On les pense passifs alors qu’ils sont capables des plus remarquables stratégies pour
accomplir leur destin. Ils règnent sur le temps, là où l’Homme et les animaux règnent sur l’espace. Pour franchir les portes de ce monde et découvrir sa puissance et sa richesse, il faut être
guidé.
Luc Jacquet nous entraîne dans un voyage initiatique au cœur des forêts primaires tropicales. Lors de cette fascinante odyssée visuelle, nous allons parcourir sept siècles à travers le temps
végétal. De la première pousse aux monuments majestueux qui dominent un monde fourmillant de vie, découvrez le plus secret des univers. Il était une forêt...
écrit et réalisé par Luc Jacquet, sur une idée originale de Francis Hallé, botaniste de renom, père du Radeau des Cimes et spécialiste de l’écologie des forêts tropicales primaires, IL éTAIT UNE
FORÊT nous offre une plongée onirique dans les forêts tropicales primaires, un monde de merveilles naturelles, sanctuaire de la biodiversité de la planète.
Dépassant le simple spectacle, le film IL éTAIT UNE FORÊT s’inscrit dans une démarche globale de sensibilisation à l’environnement. Associant connaissance, prise de conscience, éveil, découverte
et émotion, il est l’occasion de nombreuses actions visant à sensibiliser le grand public à la préservation des forêts tropicales.
L’association à but non lucratif Wild-Touch, créée par Luc Jacquet, accompagne le message du cinéaste en multipliant les points de vue autour de cette grande cause : artistes en résidence sur les
lieux de tournage et artistes invités, éducation à l’environnement, mobilisation des ONG, ainsi qu’un web-feuilleton racontant l’aventure humaine et les merveilles végétales et animales de ces
forêts uniques.
Après les succès internationaux de LA MARCHE DE L’EMPEREUR et LE RENARD ET L’ENFANT, il était naturel que les trois partenaires, Luc Jacquet et son association Wild-Touch, les producteurs de
Bonne pioche, et The Walt disney company France, se retrouvent pour porter ce nouveau projet hors norme autour de leurs valeurs communes.
Les Lieux de tournage :
Le tournage de IL éTAIT UNE FORÊT s’est déroulé de juin à novembre 2012, essentiellement au Pérou et au Gabon. Le film parle cependant de toutes les forêts primaires.
Francis Hallé explique : « Ces deux forêts présentent des caractéristiques différentes, et pourtant à première vue, il pourrait s’agir de la même : la lumière, les sons, les arbres et l’humidité
semblent identiques. Malgré cela, et là réside le paradoxe, il n’y a pas un seul arbre, pas un seul animal qui soit le même dans les deux forêts. Tout y est différent.
Si vous bandez les yeux de quelqu’un et l’emmenez dans une de ces deux forêts, à moins que cette personne ne soit un naturaliste expérimenté, elle serait incapable de savoir si elle se trouve en
Amérique ou en Afrique. Et pourtant, les forêts sont 100 % différentes. C’est tout aussi vrai en Asie.»
Toutes ces forêts ont été filmées pour n’en former qu’une seule à l’écran, quintessence de ces lieux d’exception.
PÉROU
Le Pérou possède la 5ème forêt primaire la plus riche du monde en termes de biodiversité. 700 000 kilomètres carrés sur les 1,3 million qui représentent la
superficie totale du pays sont constitués de forêt, soit 54 % du pays. Les régions protégées du Pérou sont gérées par le Servicio Nacional de Áreas Naturales Protegidas (SERNANP), et comprennent
une douzaine de parcs nationaux qui représentent une surface totale de 80 000 km2 (soit 8 000 000 hectares).
Le Parc national de Manú a été classé en 1973 afin de protéger l’incroyable richesse de sa biodiversité. L’UNEScO a ajouté sa protection internationale en 1977, le reconnaissant comme réserve de
biosphère, et l’a inscrit sur la liste du Patrimoine Mondial en 1987. On dénombre quantité d’espèces au Pérou, dont 2937 espèces d’amphibiens, d’oiseaux et de reptiles, parmi lesquelles certaines
sont uniques et spécifiques à cette région.
Un seul hectare de la forêt de Manú comporte plus de 220 espèces différentes d’arbres. La loutre géante, le caïman noir, le majestueux jaguar et le tapir sont emblématiques du Parc National de
Manú.
Au Pérou, l’équipe du film s’est installée à proximité d’une petite station météo du parc, le Camp Pakitza, sur les rives de la rivière Manú. Idéalement situé dans les régions de Cuzco et de
Madre de Dios, le Parc national de Manú est un vrai trésor de biodiversité.
GABON
Les forêts tropicales du Gabon forment une partie de l’immense bassin du Congo, deuxième seulement par la taille derrière le bassin de lA’ mazone. Au cours du Sommet mondial de la Terre de
Johannesburg en 2002, le Président Omar Bongo Ondimba a annoncé la création d’un réseau de 13 parcs nationaux gérés par l’ANpN (Agence Nationale des Parcs Nationaux du Gabon).
Avec 80 % de son territoire recouverts par la forêt, le Gabon est l’un des rares pays à pouvoir s’enorgueillir de posséder une forêt primaire. Des centaines d’espèces de plantes abondent,
poussant les unes par-dessus les autres, pour composer la forêt équatoriale primaire qui couvre la plus grande partie des régions occidentales, septentrionales et méridionales du pays. La forêt
primaire est l’habitat naturel d’arbres géants tels le moabi. Certaines parties du film ont été tournées au Parc National de l’Ivindo, à l’est, et au Parc National de Loango, sur le littoral, au
sud de Libreville. Là-bas, le temps semble s’être arrêté. Des éléphants, des hippopotames et des crocodiles déambulent paisiblement. Les deux parcs offrent des paysages extraordinaires : des
plages, des petits lagons, des mangroves, des prés salés, des marécages, des savanes et des forêts. Ces écosystèmes sont très inhabituels et leur état de conservation leur confère un caractère
réellement exceptionnel.
L’équipe a aussi survolé le Parc du Minkébé, au nord du Gabon, pour filmer les inselbergs, ces monolithes de pierre qui débordent de la canopée, rompant la monotonie de l’étendue forestière à
perte de vue. Pendant une semaine, une équipe réduite s’est rendue sur la plage de Loango pour filmer les éléphants.
Les équipes, principale, animalière et making-of se sont ensuite installées vingt jours au Baï de Langoué. Elles ont été rejointes par les artistes charles Belle, Frédérick Mansot, Mark
Alsterlind et Vincent Lajarige. Une équipe réduite est partie tourner deux jours aux chutes de Kongou.
UN TOURNAGE ET UNE ÉQUIPE DE TOURNAGE RESPECTUEUX DE L’ENVIRONNEMENT
Ce tournage en pleine forêt tropicale ne pouvait se faire sans un respect infini pour cet environnement. Des écogestes ont été suivis par les équipes de tournage :
Tri des déchets : en régie, les emballages ont été limités au maximum. Depuis Paris, le matériel a été envoyé sans emballages. Sur place, les déchets ont été triés (plastique, ferraille et piles)
et transportés en dehors des Parcs Nationaux. Les déchets organiques et non organiques ont été systématiquement exfiltrés des zones forestières tropicales dans lesquelles l’équipe de tournage
s’est installée pour être ramenés en zone urbaine et être traités dans le circuit local. Les piles et autres déchets toxiques à retraiter ont été ramenés en France.
Eau : très peu de bouteilles plastiques ont été utilisées, chaque membre de l’équipe avait sa propre bouteille ainsi qu’une tasse nominative. Des douches solaires ont été utilisées, avec une
limitation d’eau par personne.
Hygiène : des toilettes sèches ont été installées autour des camps le temps du tournage. Des shampoings et savons biodégradables ont été distribués à l’équipe.
Matériel utilisé : l’équipe n’a pas utilisé de couverts en plastique, et la batterie de cuisine a été achetée sur place et redistribuée localement avant le retour en France.
Nourriture : la nourriture locale a été privilégiée au maximum avec un choix de légumes dont la conservation est facile en extérieur. Des jus de fruits et des poissons locaux ont été consommés.
Parallèlement, que ce soit au Pérou ou au Gabon, les équipes du film ont collaboré avec les populations locales. Au Pérou, sous la houlette du gouvernement péruvien, au sein du Parc National du
Manú, des membres de la communauté des Indiens Machiguengas, ont été intégrés dans l’équipe.
Au Gabon, c’est avec les écogardes de l’ANpN et les ONG WcS (Wildlife Conservation Society) et Max planck Institute que l’équipe a travaillé au plus près, afin de respecter l’environnement et les
espèces menacées.
Rencontre avec Luc Jacquet
COMMENT EST NÉ LE PROJET IL ÉTAIT UNE FORÊT ?
Lors de mes voyages à travers le monde, j’ai pu constater la dégradation de notre planète, certains des endroits les plus beaux et les plus riches sont en train de disparaître sans que l’on
puisse enrayer le phénomène. Avec cette conviction que je ne pouvais plus filmer la nature comme si de rien n’était, j’ai créé l’association Wild-Touch, pour mettre mon savoir-faire et la
notoriété acquise avec LA MARCHE DE L’EMPEREUR au service des grandes causes environnementales. Les discours moralisateurs et culpabilisants ne fonctionnent pas, j’ai pris le pari d’essayer de
toucher les gens par la compréhension et l’émotion.
En accompagnant LA MARCHE DE L’EMPEREUR sur tous les continents, je me suis aperçu qu’à travers le film, les gens prenaient aussi conscience du réchauffement climatique et de la question du
devenir de l’Antarctique. À la suite du film, de nombreux scientifiques m’ont sollicité pour réaliser des films soutenant les causes qui leur tenaient à cœur. J’ai senti un besoin, une envie de
parler autrement de la préservation de la nature, en apportant l’émotion du cinéma et une médiation scientifique de grande qualité.
Dans ce contexte, le botaniste Francis Hallé m’a demandé de réaliser un film patrimonial sur les grandes forêts primaires des tropiques. Le temps de sa carrière, il les a vues fondre peu à peu et
annonce aujourd’hui que dans 10 ans elles auront disparu. Francis est un grand scientifique engagé, médiateur entre le monde des arbres et celui des hommes ; il m’a amené à découvrir un autre pan
du monde vivant, l’univers mystérieux et immobile du végétal.
J’ai eu envie de raconter la beauté, la richesse, la fabuleuse ingéniosité de la forêt.
IL éTAIT UNE FORÊT est une invitation à la découverte. Venez regarder les forêts tropicales primaires. Rendez-vous compte de la richesse de ces milieux. Arrêtons de les considérer comme un
ailleurs, mais plutôt comme un chez-nous, patrimoine de l’humanité.
CONNAISSIEZ-VOUS LES FORÊTS TROPICALES PRIMAIRES AVANT DE TOURNER CE FILM ?
Je n’étais jamais allé en forêt tropicale. Nous sommes partis quelques jours en Guyane avec Francis, pour apprendre à se connaître et pour qu’il me fasse découvrir ces forêts dont il me parlait
avec tant de passion. Dès mon arrivée en forêt, j’ai ressenti un profond bien-être, une sensation d’air pur, de sérénité, de puissance. Au milieu des troncs gigantesques, les oiseaux flûteurs et
les perroquets se répondaient.
Le temps de notre voyage, Francis m’a ouvert les portes des forêts tropicales primaires, en me transmettant leurs codes et leur alphabet. À ses côtés, j’ai regardé les plantes comme jamais je ne
l’avais fait. J’ai appris que les arbres communiquent entre eux, qu’ils pallient leur immobilité en utilisant les animaux, que ce sont des virtuoses de la biochimie, ils ont inventé un langage
volatil où chaque mot est un parfum...
Francis m’a aussi ouvert les portes de la canopée. La première fois que l’on émerge, après une ascension de 60 mètres le long du tronc d’un grand arbre, et que l’on découvre un océan forestier à
perte de vue, les singes qui marchent sur la forêt, les perroquets qui survolent la canopée en jacassant, il se passe quelque chose d’extraordinaire. On sent sous ses pieds l’énergie de l’arbre,
on se sent admis par le vivant. Je pense que cela va chercher très loin en nous. Il ne faut pas oublier qu’il y a trois millions d’années, on vivait là-haut ! Je pense qu’il y a des choses dans
nos gènes qui sont encore là... Ce sont presque des sensations fossiles.
Au début de l’aventure une phrase de Francis Hallé m’a interpellé : “Vivre mobile est à la portée de tous, mais pour vivre immobile, il faut déployer beaucoup d’imagination.” Penser que les
arbres qui n’ont pas de cerveau sont capables d’élaborer des stratégies d’une incroyable sophistication, m’a fait comprendre que nous ne regardions le monde qu’à travers un seul prisme, le nôtre.
Francis par un simple changement de point de vue m’offrait un nouvel univers totalement inexploré, l’univers végétal. Le cinéma allait me permettre de le révéler au plus grand nombre. Le film
était là sous mes yeux, apparu comme une révélation. Je ne savais pas encore dans quel défi je me lançais...
COMMENT RACONTER LES FORÊTS ?
Là où le novice que j’étais ne voyait qu’un entrelacs interminable de végétation, Francis discernait sans cesse des histoires entre des êtres en train de lutter ou de collaborer. En l’observant
évoluer dans la forêt, toucher les troncs, sentir les fleurs, froisser les feuilles, j’ai compris que sa présence à l’écran était indispensable. Il était le médiateur essentiel entre ce monde
végétal et le grand public.
Je me suis surtout aperçu que les véritables problèmes pour accéder à l’univers des arbres, étaient essentiellement une question de temps et de dimensions. Nous ne vivons pas assez longtemps pour
voir pousser les arbres ! Je me suis dit qu’en nous servant du cinéma pour jouer avec les échelles de temps, nous pourrions rendre visible le mouvement végétal qui est à l’œuvre partout dans
cette forêt. Partant de là, on pouvait montrer au grand public un spectacle qu’il n’avait jamais vu.
Côté dimensions, nous ne sommes pas assez grands pour embrasser la vision de la forêt d’un seul regard. Il allait falloir inventer les outils pour hisser notre regard à hauteur d’arbre.
EST-IL POSSIBLE D’ÉCRIRE UN SCÉNARIO SUR LA FORÊT ?
Les forêts tropicales primaires sont un univers infini, foisonnant et complexe. J’ai d’abord beaucoup écouté Francis Hallé dans son bureau à Montpellier, un véritable cabinet de curiosités,
rempli par des années de recherche et de dessins. J’ai passé des semaines sur le terrain à lui demander de m’expliquer, de me montrer ce qu’était une forêt primaire.
Le cinéma aime les histoires claires. Le premier défi a été de trouver une ligne simple, dans ce monde complexe, pour raconter les forêts tropicales primaires. J’ai cherché le dénominateur commun
à tout ce que Francis me faisait découvrir. Lorsqu’il m’a dit que pour qu’une forêt devienne primaire sous les tropiques, il fallait environ 700 ans, j’ai su que mon histoire passait par là.
Plutôt que de partir d’un tout trop foisonnant pour être visible, j’allais entièrement reconstruire la forêt sous les yeux du public. J’ai donc imaginé une terre dévastée qu’on laisserait
tranquille pendant sept siècles. La forêt se reconstruit comme un puzzle sous les yeux des spectateurs jusqu’à son point d’équilibre, c’est à dire le point ultime de reconnexion entre tous les
êtres vivants qui la constituent. La forêt est semblable à un château de cartes, dans lequel chaque carte est indispensable pour qu’il tienne debout.
L’idée était de faire comprendre que dans cet écosystème, tout est imbriqué de l’infiniment petit à l’infiniment grand, comme des poupées russes vivant les unes dans les autres. Mais le plus
important était le point de vue : bien sûr dans la forêt il y a des animaux, des fourmis et des papillons, mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce sont les arbres qui sont les chefs
d’orchestre. L’idée était de montrer en permanence la relation que les arbres entretiennent avec les êtres vivants, faire comprendre que les arbres manipulent littéralement la faune pour leur
propre dessein.
Les plantes passent leur temps à séduire les animaux, simplement parce qu’elles ont besoin de leur mobilité pour transporter leur pollen et leurs graines, comme si elles faisaient appel à des
coursiers. Nous-mêmes nous nous laissons manipuler par les plantes, pensez au plaisir que nous procure l’odeur d’une rose ou la saveur d’un dessert parfumé avec de la vanille ! Ce plaisir nous
incite à en prendre soin. Quand on adopte ce point de vue sur le monde végétal, on entre dans un univers d’histoires toutes plus passionnantes les unes que les autres.
QUELLES SONT LES DIFFICULTÉS LORSQU’ON FILME LA FORÊT ?
Faire un film sur les arbres, c’est défier les règles du cinéma ! Un sujet apparemment immobile par rapport à notre échelle de temps, quand le cinéma est par nature la métaphore de l’œil humain,
un formidable capteur de mouvement.
Un sujet qui s’élève jusqu’à 70 mètres de hauteur, quand le cadre de notre caméra est un rectangle horizontal, reflet de notre champ de vision. Un sujet qui pousse de quelques centimètres par an,
quand nous tournons avec une caméra qui filme à 24 images par seconde...
A posteriori, je crois que je n’ai jamais eu à réaliser un film aussi difficile ! Quand on a un texte, un comédien et un décor, on arrive toujours à obtenir quelque chose. Or là, chaque plan
était un défi. Comment rendre compte de l’invisible, des odeurs ? Comment exprimer le réseau de connexions complexes tissé au sein de la communauté vivante ? Comment jouer en permanence avec les
notions de temps et d’échelle pour raconter la forêt ? Comment mettre en mouvement des êtres immobiles ? Comment entrer dans le point de vue des arbres et créer de l’empathie pour ces géants ?
Pour y parvenir, aucun matériel existant n’était suffisant ; nous avons donc mis au point nos propres prototypes. Avec Benjamin Vial, chef machiniste sur le film, nous avons créé l’Arbracam, un
système de caméra sur cordes capable de faire des travellings à la dimension des arbres et de la forêt. On a également développé un drone capable de travailler sur toute la partie supérieure des
arbres pour prendre le relais du système de caméra sur câble. Entre ces deux prototypes extrêmes, la grue de cinéma nous a permis de garder une fluidité et une continuité sur tous les grands
mouvements.
On savait qu’un autre de nos défis serait le temps et l’espace avec des échelles passant de l’infiniment court à l’infiniment long et sur des gammes spatiales allant de l’extrêmement petit à
l’extrêmement grand. On a travaillé avec des systèmes optiques très particuliers, tel que le périscope, qui nous permettaient de recréer des paysages macroscopiques et de voir le monde tel qu’une
fourmi peut le percevoir.
La combinaison de ces trois outils, Arbracam, drone et périscope, nous a permis de réaliser des images de grande qualité dans ce milieu tropical difficile d’accès. Le plan d’ouverture est l’image
même du film : on y découvre ainsi un arbre de 70 mètres en un seul regard, comme jamais auparavant. On va le voir dans ce qu’il a de plus petit jusque dans ce qu’il a de plus grand, jusqu’à la
place qu’il occupe dans la forêt. Et tout cela en un seul plan. Quand on fait ce genre de chose, lorsqu’on repousse les limites, le cinéma devient passionnant !
POURQUOI ÊTRE ALLÉ TOURNER AU PÉROU ET AU GABON ?
Nous ne voulions parler d’aucune forêt en particulier, mais de la forêt tropicale primaire en général. Nous avons réuni un florilège, en allant chercher ce qu’il y a de plus beau, de plus
significatif dans toutes les forêts du monde, pour en faire une forêt emblématique dans laquelle on développerait notre histoire. C’est pour cela que l’on voit des jaguars, des éléphants, un
moabi, un kapokier dans une seule et même forêt.
Avec Francis, après avoir dressé la liste des lieux incontournables pour le film, nous nous sommes concentrés sur deux grands massifs : le parc national du Manú au Pérou pour la partie
amazonienne, et la forêt gabonaise, qui est encore très bien protégée, pour la partie du bassin du Congo.
Nous avons tourné au Gabon pour ses grands mammifères, ses points de vue sublimes et ses très grands arbres, dont le fameux moabi. Pour le Pérou, l’argument de Francis était sans appel : “Au parc
du Manú, les taux de biodiversité atteignent des records dans la plupart des familles animales et végétales.”
COMMENT SE PASSE UN TOURNAGE EN PLEINE FORÊT TROPICALE, AVEC UNE ÉQUIPE ET DU MATÉRIEL DE CINÉMA DE FICTION ?
Au-delà d’un film, IL éTAIT UNE FORÊT représente pour moi une expédition, comme celles des grandes épopées du XIXème siècle, lorsque des explorateurs
affrétaient un navire et partaient découvrir des contrées inconnues, emmenant avec eux des spécialistes de toutes disciplines. Ces aventuriers ont vu et raconté le monde, de leurs récits est né
un imaginaire collectif. Comme eux, nous sommes partis découvrir les dernières forêts tropicales primaires, comme eux nous avons le devoir de témoigner. Non pas pour décrire un monde foulé pour
la première fois, mais pour raconter un univers sublime, en train de disparaître.
J’avais suffisamment repéré le film pour arriver en forêt en sachant très précisément ce que je voulais. Francis m’avait donné l’inspiration, l’impulsion, les données scientifiques. J’ai
transformé ces données en histoire, et cette histoire en scénario. On ne pouvait cependant pas parler de scénario au sens strict du terme car énormément de choses passent par le visuel. Mais dans
cet univers foisonnant, il était inconcevable de partir sans une idée précise de ce qu’on voulait filmer. J’ai alors complètement storyboardé le film. C’était extrêmement découpé. Ce document m’a
permis de faire le lien avec les équipes, de mettre en place les processus techniques et d’avoir un vrai plan de travail. On savait précisément ce que l’on venait chercher, dans quelle lumière et
à quelle heure. C’était aussi l’ambition de ce film : être une véritable expédition, et un vrai tournage.
L’aventure au niveau de la logistique nous tentait tous. Je suis parti avec des gens qui adorent ça. J’étais avec de grands techniciens du cinéma qui ont cette capacité à se projeter très loin, à
vivre sous la tente dans des conditions complexes, dans la chaleur, au milieu des insectes... Mais en ne perdant jamais de vue ce qui nous habite tous, l’excellence de l’image et du son que nous
devions rapporter. Même si filmer dans des conditions extrêmes n’a pas été simple, nous étions préparés.
La première impression en arrivant en forêt est celle de ne rien distinguer. Tout se confond dans le vert ambiant. La forêt impose le temps. Au fil des journées, nous avons senti notre regard
s’aiguiser, notre vision s’adapter. Plusieurs semaines sont nécessaires pour cela. Et encore, comparé aux natifs, nous ne voyions toujours rien.
Nous étions aux portes d’un monde d’une richesse absolue dont on ne voyait qu’une infime partie. Quelle expérience hallucinante de toucher des yeux le mot biodiversité !
Au cours du tournage, Francis a réussi sa mission : s’il m’a amené à regarder les plantes autrement, cette magie a opéré sur beaucoup de membres de l’équipe. Il nous a conduits à être attentifs à
l’univers végétal et nous a projetés dans le temps des plantes.
Combien de fois ai-je surpris un de mes camarades en arrêt devant un bourgeon, imaginant sans doute ce qu’il serait quelques siècles plus tard. J’espère qu’à travers le film nous amènerons les
spectateurs à faire ce même voyage.
QU’ESPÉREZ-VOUS AVEC CE FILM ?
Mon but est de faire entrer les spectateurs dans des échelles de temps et de tailles dans lesquelles ils ne sont jamais allés. Ils ont probablement vu cinquante documentaires sur la forêt, mais
ce que nous montrons dans cette dynamique de découverte, ils ne l’ont jamais vu.
Si les gens ne voient plus jamais les arbres et la forêt de la même façon après avoir vu le film, le pari sera réussi. D’autorité, on s’attribue, pour nos propres besoins, toute une partie du
vivant qui ne se défend pas, qui n’a rien à dire, mais qui a un seul avantage sur nous : il a le temps. Les arbres nous survivront. On peut massacrer toutes les forêts du monde, nous serons les
premiers à en pâtir. Pour tout reconstituer, les arbres auront besoin de 1500 ans, 3000 ans... Ce n’est rien pour eux. Cela représente trois générations d’arbres, mais combien de générations
d’hommes ?
J’essaye donc d’attirer l’attention sur la réserve fabuleuse d’émotions, sur cette capacité à être vivants qu’ont les arbres et que l’on doit prendre en considération. Je cherche à faire
comprendre et à émouvoir. On vit sur une planète limitée, et on ne peut pas continuer à taper dedans à l’infini. Ce n’est pas tellement pour les animaux que je m’inquiète, c’est pour nous.
COMMENT INVERSER LES CHOSES ?
Lors de ce tournage, nous avons vu le meilleur comme le pire. Un simple exemple avec les éléphants de forêt que nous avons filmés, leur braconnage a augmenté comme jamais ces derniers mois, leur
destruction semble inéluctable. Une idée qui m’est intolérable : que nos enfants ne puissent pas un jour s’asseoir au bord du baï de Langoué au Gabon, comme je l’ai fait, pour contempler une
troupe d’éléphants se prélassant au bain dans le calme du soir.
Je suis partagé entre le sentiment d’avoir eu le privilège d’aller dans ces forêts avant qu’elles ne disparaissent et celui de ne pas savoir comment lutter contre les modèles économiques et
politiques fondés sur la destruction, la consommation et non sur l’équilibre.
Francis Hallé sait jusqu’où s’étend la connaissance des forêts tropicales. Il a surtout conscience de là où elle s’arrête, de tout ce que l’on ne sait pas encore. Je crois qu’au-delà de sa
profonde empathie pour ce milieu, c’est ce constat qui le pousse à lutter contre la disparition des dernières forêts tropicales primaires. Le constat d’un milieu en train de disparaître sans que
l’on ait découvert toutes ses richesses et les secrets de sa complexité.
COMMENT ALERTER SUR LA NÉCESSITÉ DE CESSER DE DÉTRUIRE CES FORÊTS ?
Nous sommes à la charnière, sur une zone de fracture. Va-t-on sombrer ou s’en sortir par le haut ? Tout est possible. En tant qu’artiste, j’essaye modestement de le faire comprendre et de le
faire ressentir aux gens.
Nous espérons qu’avec le film, les livres, le jeu, les actions de sensibilisation de l’association Wild-Touch, nous parviendrons à émouvoir un grand nombre de personnes qui n’ont pas la chance de
pouvoir être touchées directement par le charme incroyable des forêts tropicales. C’est un objectif à la fois modeste et grandiose. J’espère que les spectateurs feront le reste du chemin par
eux-mêmes.
Rencontre avec Francis Hallé
LORSQUE VOUS AVEZ DÉBUTÉ EN TANT QUE BOTANISTE, QU’EST-CE QUI VOUS A ATTIRÉ VERS LES FORÊTS ?
Tout est parti d’une passion d’enfant. Mes parents possédaient un demi-hectare de forêt en Seine-et-Marne où nous nous sommes réfugiés pendant la guerre. J’ai passé beaucoup de temps dans ce
petit terrain boisé et je grimpais aux arbres. Je crois que les gens s’épanouissent lorsqu’ils respectent et valorisent leurs passions d’enfance. Ceux qui vont plus loin, plus haut, ceux qui
vivent en plus grand, sont ceux qui sont restés fidèles à leur enfance. Je dois ma propre passion à mon père et à mes frères aînés, qui m’ont fait découvrir la forêt de Fontainebleau.
Tout a commencé comme ça. Lorsque j’ai débuté mes études, je me suis d’emblée orienté vers les plantes. Et où trouve-t-on le plus de plantes ? Dans les tropiques... Et dans les tropiques, où y
a-t-il le plus de plantes ? Dans la forêt... Et dans la forêt, où y a-t-il le plus de plantes ? Au niveau de la canopée. De sorte que c’est devenu ma spécialité.
A QUEL AGE AVEZ-VOUS DÉCOUVERT UNE FORÊT PRIMAIRE POUR LA PREMIERE FOIS ? QU’AVEZ-VOUS RESSENTI ?
J’avais 22 ans, l’âge de Darwin lorsque lui-même est arrivé pour la première fois dans une forêt primaire du Brésil. Comme lui, j’ai été ébloui. Pour moi, c’était en Côte-d’Ivoire, non loin
d’Abidjan. Lorsque j’ai commencé, il y avait de la forêt primaire partout. Dans toute l’Afrique, dans toute l’Amérique latine, dans toute l’Asie du Sud-Est...
C’était inépuisable ! Je passais tous mes week-ends à photographier - car à l’époque je photographiais - et j’en garde de magnifiques souvenirs. Ensuite, au fil de ma vie, j’ai vu tout
disparaître. C’est terrible. Ces forêts ont été transformées en parkings, en supermarchés, en friches abandonnées... J’ai été témoin de cela.
COMMENT AVEZ-VOUS RENCONTRÉ LUC JACQUET ?
Nous nous sommes connus par hasard lors de l’inauguration de Terra Botanica, un parc d’attractions consacré à l’univers des plantes près dA’ ngers. Nous étions invités lui et moi, et nous avons
déjeuné ensemble. J’étais heureux de le rencontrer parce que cela faisait vingt ans que je cherchais un cinéaste. J’en ai croisé des quantités, mais ça n’a jamais marché. Depuis longtemps, je me
rends compte que les forêts primaires disparaissent et que très bientôt, il n’en restera rien. Je voulais faire un film qui puisse montrer à mes semblables et aux générations futures ce que sont
ces lieux exceptionnels et quelle est leur importance. Pour y parvenir, j’ai approché de nombreux cinéastes et tous trouvaient mon projet magnifique, mais ils n’avaient pas le temps, ou ne
trouvaient pas les budgets nécessaires.
QUEL REGARD PORTIEZ-VOUS SUR LUC JACQUET ?
J’avais vu LA MARCHE DE L’EMPEREUR et rien que grâce à ce film, j’étais très heureux de le rencontrer. Je me suis dit qu’il était l’homme de la situation. Il a tout de suite été sensible au
projet. Mais pour savoir si ce cinéaste animalier pouvait se sentir bien, loin de la banquise et du blizzard, je lui ai proposé de passer 15 jours avec moi dans la forêt équatoriale de Guyane. Il
y a des gens qui ne supportent pas la forêt. Ils la trouvent laide, dangereuse, et n’ont qu’une envie : la fuir. Les gens réduisent souvent ces forêts à un enfer vert qui ne correspond pas du
tout à la réalité. Mais Luc, qui n’était pas familier de ce genre d’endroit, s’est rendu à l’évidence : c’est plutôt tranquille ! Mieux encore, c’est apaisant et pacifiant. Le seul vrai risque,
c’est de se perdre. Mais j’ai déjà vu des gens très connus et très respectables ne pas s’y sentir bien du tout ! C’est pour cela que j’avais proposé à Luc d’aller faire un tour en situation
réelle, sur le terrain. Il a une passion pour la biologie. Il a d’ailleurs fait des études assez poussées dans ce domaine. Et l’énorme vie qu’il a découverte l’a immédiatement séduit.
Luc s’est tout de suite senti bien dans la forêt. Il se fichait totalement de savoir s’il faisait chaud ou froid ! Par contre, je l’ai senti déstabilisé face aux plantes. Il n’avait jusque-là
filmé que des animaux. Une plante ne bouge pas, ne fait pas de bruit, ce qui ne correspond pas aux sujets habituels traités au cinéma. J’ai alors vu un cinéaste confronté à ce qu’est un arbre. Un
arbre, c’est immobile et tout en hauteur, contrairement aux formats d’images. J’ai vu Luc écartelé entre son envie de faire le film et la nécessité d’inventer une approche dynamique qui
corresponde au cinéma. De la difficulté du projet sont nées sa particularité et son originalité. En tant que cinéaste, Luc a été le trait d’union entre le spécialiste que je suis et le grand
public, à qui il sait parfaitement s’adresser.
COMMENT EST VENUE L’IDÉE DE VOUS METTRE EN SCENE DANS CETTE NATURE ?
Au départ, je ne voulais pas apparaître à l’image. Je crois qu’il vaut mieux montrer des jeunes premiers au cinéma, et à 75 ans je n’en suis plus vraiment un ! Mais Luc désirait entraîner le
spectateur dans un voyage de découverte comme celui qu’il avait vécu à mes côtés. Cela lui semblait logique que je sois le guide dans les salles comme je l’avais été dans la réalité. Alors je lui
ai fait confiance, et le fait est que tourner ce film m’a rappelé les balades que nous avions faites en Guyane.
QUAND ON OBSERVE VOTRE PARCOURS, ON SE REND COMPTE QUE VOUS AVEZ TOUJOURS CHERCHÉ à TRANSMETTRE...
Je suis universitaire, c’est-à-dire moitié chercheur, moitié enseignant. C’est le statut des universitaires en France. Quand j’enseigne, je cherche forcément à transmettre.
L’écriture de mes livres n’est venue qu’à la retraite, parce qu’avant, je n’avais pas le temps. Ce n’est pas une vocation tardive, c’était un manque de temps. Quand vous passez votre vie sur le
terrain partout dans le monde ou dans des amphis remplis de centaines de personnes, vous n’avez pas le temps d’écrire.
Je n’avais jamais écrit sur la forêt tropicale primaire. Écrire est un travail de spécialiste. L’envie de voir naître ce film n’est pas venue d’une volonté d’élargir mon public, mais d’un constat
qui concerne tout le monde : ces forêts disparaissent et seule l’image peut faire en sorte qu’il en reste quelque chose. Il faut l’image, il faut le son.
COMMENT AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ AVEC LUC ?
Il est venu me voir à plusieurs reprises à Montpellier. On s’enfermait du matin au soir, et il me faisait parler sur la forêt, ce qui n’est pas très difficile ! Je l’ai vu prendre des quantités
de notes. Je lui ai fait rencontrer mes collègues scientifiques. Ensuite, nous avons échangé par mail et petit-à-petit le scénario s’est mis en place dans sa tête. Et puis les repérages sur le
terrain se sont succédés et enfin, le tournage.
ON DÉCOUVRE AUSSI QUE VOUS AIMEZ GRIMPER AUX ARBRES...
C’est un des aspects concrets de mon métier. Et dans le film, le fait de me voir dans les arbres permet de donner l’échelle des dimensions. Si je n’étais pas présent dessus, si petit, on ne
prendrait pas conscience de leur taille gigantesque. J’ai grimpé aux arbres pendant 30 ans et j’aime ça. Je me sens très bien là-haut. Le problème, c’est de me faire descendre ! De là-haut, je
trouve le spectacle magnifique.
J’aime beaucoup le premier plan du film, très long, qui monte majestueusement le long d’un magnifique Ceiba. L’arbre le plus haut est celui sur lequel on termine le film, le grand moabi
d’Afrique. C’est le plus grand arbre d’Afrique ! C’est un monument extraordinaire. Je considère comme une chance d’avoir pu voir cet arbre, y grimper, y séjourner à plusieurs reprises, à des
époques différentes, et y faire des tas de dessins... C’était vraiment magnifique.
ON VOUS VOIT DESSINER DANS LE FILM...
Je passe mon temps à dessiner. En botanique, on ne peut pas faire autrement. Tous les botanistes sont dessinateurs. Je ne néglige pas la photo, mais dans une forêt, si un arbre vous intéresse,
vous aurez du mal à l’extraire de son environnement par la photo, alors que le dessin le permet. La photo ne remplacera jamais le dessin.
C’est une base de documentation essentielle et j’en ai des armoires entières. Je m’y réfère très souvent. Cela permet de relever la forme d’une plante ou d’une partie de plante et de restituer
tout ce qui la rend particulière. Le dessin me donne la possibilité de me focaliser sur ce qui m’intéresse. Le dessin n’est pas neutre, c’est déjà une prise de position. Un botaniste a besoin de
savoir dessiner. Et cela me convient très bien parce que j’aime ça. J’ai un frère, botaniste comme moi, qui dessine bien mieux que moi. Mais je dessine aussi beaucoup d’autres choses, tout ce qui
me plaît, même des portraits ! Le dessin est très présent dans ma famille. Mon grand-père maternel était peintre et dessinateur, et du côté paternel, il y a aussi une grande lignée de peintres et
de dessinateurs. J’ai de qui tenir ! Si je ne dessinais pas, je serais très malheureux.
COMMENT ESPÉREZ-VOUS QUE LES GENS VONT ACCUEILLIR CE FILM ?
J’ai beaucoup de mal à me faire une idée objective de ce que le public va ressentir. Le sujet me touche de trop près. Le film est un voyage de découverte, spectaculaire, parfois poétique, souvent
instructif, destiné à entraîner les spectateurs au cœur d’une forêt primaire, loin des clichés. Luc et moi nous étions mis d’accord, avant même de commencer, sur une approche inédite.
Le problème de la déforestation est connu et largement traité par d’autres cinéastes. Nous étions là pour présenter et faire vivre l’expérience de ces forêts et de l’univers qu’elles
représentent. Tout en apprenant beaucoup de choses au public, Luc a évité le côté documentaire classique.
QU’ESPÉREZ-VOUS AUJOURD’HUI AVEC CE FILM ?
Quand j’étais gamin, j’ai vu LE MONDE DU SILENCE de Cousteau. Avant ce film, le grand public ignorait totalement ce qu’il y avait sous la mer. Les gens n’avaient même jamais mis de masque de
plongée.
Le film a réussi à attirer leur attention sur la mer. Mes collègues océanographes me disent que c’est grâce à ce film qu’ils ont aujourd’hui les moyens de mener des recherches et des campagnes
d’information. Ni Luc ni moi ne nous prenons pour le commandant Cousteau, mais jamais les gens n’ont vu ce qu’il y a sur ces canopées équatoriales... Aujourd’hui, le sort de ces forêts est entre
les mains du grand public. Seul un mouvement de l’opinion publique peut encore les sauver. Donc, plus le public est large, mieux ça vaut ! Et s’il y a des artistes qui m’aident à alerter encore
plus de gens, ils sont les bienvenus... Il n’y a plus que cela qui puisse sauver le peu qu’il reste.
IL éTAIT UNE FORÊT parviendra-t-il à faire baisser la courbe de la déforestation tropicale ? Le cinéma réussira-t- il à emporter la conviction du public en faveur d’une cause juste ?
J’espère que le film parviendra à porter ses fruits au-delà des écologistes déjà convaincus, et à faire son chemin dans des groupes sociaux pour qui la forêt tropicale primaire est un sujet neuf.
À mon sens, c’est comme cela que nous pourrons juger de l’utilité du film.
EN TOURNANT AVEC LUC, AVEZ-VOUS REDÉCOUVERT DES CHOSES à TRAVERS SON REGARD INNOCENT SUR CE MILIEU QUE VOUS CONNAISSEZ SI BIEN ?
Nous avons fait mieux que cela. Nous avons fait de vraies découvertes ! En tournant avec des moyens inédits pour la recherche, j’ai vu des choses qu’on ne connaissait pas. Grâce à ce film, nous
savons désormais quelles sont les vraies relations entre les faux œufs de cecropia et les fourmis qui habitent ces plantes.
C’est un peu technique, mais c’est passionnant. C’est l’un des plus brillants stratagèmes qu’une plante puisse mettre au point pour se protéger. Le cecropia est une plante qui fabrique de faux
œufs qui attirent les fourmis et celles-ci, en s’installant, la défendent contre les parasites destructeurs.
Nous pensions que les fourmis mangeaient ces faux œufs, mais pas du tout. Elles les prennent pour des vrais et les soignent. Luc et son équipe avaient mis des endoscopes dans les tiges creuses,
et c’est ainsi que nous avons découvert ce qu’elles font vraiment.
LE FILM VA DU PLUS PETIT AU PLUS GRAND. à UNE ÉCHELLE PLUS GRANDE, AVEZ-VOUS DÉCOUVERT D’AUTRES CHOSES DANS CES LIEUX ?
J’ai découvert et expérimenté de très longues stations dans le sommet des très grands arbres. J’ai fréquenté la canopée pendant 30 ans, mais pas sur les plus grands arbres.
Pour poser le Radeau des Cimes sur les canopées, on essayait de trouver des endroits plats. Alors que là, pour le film, ils ont choisi des émergents. Je trouve que c’était un excellent choix. Et
cela m’a permis de passer des journées entières dans le sommet des très grands arbres. Je ne l’avais jamais fait. On en redescend changé. C’est très bizarre. D’abord, on passe d’une énorme
lumière à un sous-bois très sombre. Au pied, on est comme dans une cave, où il fait bien froid. Alors qu’au sommet, quand il y a du vent, ça va, mais quand il n’y en a pas, il fait très chaud car
il n’y a pas d’ombre. J’adore être au sommet des très grands arbres. Je peux les étudier, les dessiner, les comprendre. Dès que je peux, j’y retourne. Je ne manque jamais une occasion.
En septembre, je pars à nouveau en Guyane, et l’on va grimper dans les arbres. Ça fait du bien. On est fatigué en arrivant, et on est en pleine forme en repartant ! J’espère que le public
ressentira cela dans le film.
WiLD-touch
UN TRAIT D’UNION ENTRE L’HOMME ET LA NATURE
Depuis des années, Luc Jacquet filme la nature et le monde animalier pour émerveiller les spectateurs à travers des histoires uniques et passionnantes. En 2010, suite au succès de LA MARcHE dE
L’EMpEREUR - Oscar du meilleur documentaire - et du RENARd ET L’ENFANT, Luc Jacquet crée Wild-Touch, association à but non lucratif.
« Je souhaite offrir au grand public une plongée exceptionnelle au sein de ces ultimes espaces de nature sauvage. Présenter la nature de façon sensible pour émouvoir et émerveiller les hommes
afin de recréer ce lien indispensable qui nous unit à elle.» Luc Jacquet
Les projets portés par l’association sont nés de la rencontre entre Luc Jacquet et de grands témoins scientifiques, spécialistes des grandes causes environnementales (forêts tropicales primaires,
Antarctique, changement climatique, corail...). Luc Jacquet réalise des films patrimoines sur ces enjeux écologiques majeurs, en associant la nouvelle philanthropie aux modes de production
classique du cinéma. Wild-Touch accompagne le message du cinéaste en développant une logique de méta-récit : déclinaison simultanée d’un même sujet à travers de nombreux médias afin d’amplifier
la portée du plaidoyer (web-feuilleton, web-documentaire, sensibilisation des générations futures, participation d’artistes, documentaires TV, mobilisation de la société civile...). L’association
souhaite ainsi multiplier les regards et les points de vue autour d’une même cause.
MOBILISER LA CRÉATION ARTISTIQUE
Wild-Touch invite des artistes en résidence sur les lieux de tournage. Immergés en milieux naturels, ils retranscrivent avec leur talent et leur sensibilité, ce que leur inspire la nature.
Les œuvres artistiques font l’objet d’expositions proposées gratuitement au grand public partout en France.
FAIRE VIVRE L’AVENTURE
À travers ses projets, Wild-Touch voyage dans les dernières oasis sauvages de la planète. Wild-Touch souhaite partager ce privilège avec le grand public, et utilise le média web pour
fairedécouvrirlecôtésensibledecesaventureshumaines, par un traitement libre et créatif.
SENSIBILISER LES GÉNÉRATIONS FUTURES
Wild-Touch développe des actions pédagogiques alliant art, sciences et développement durable.
Wild-Touch met son savoir-faire artistique à disposition des acteurs de la société civile, afin de toucher et de sensibiliser le plus grand nombre. Pour accompagner son développement, Wild-Touch
s’est dotée d’une structure innovante avec une association pivot du développement des projets, un fonds de dotation et une société de production, dans l’esprit de l’économie sociale et solidaire.
Wild-Touch souhaite, à terme, héberger d’autres projets et donner la possibilité à des artistes de s’exprimer.
Parce que l’on protège mieux ce que l’on aime, Wild- Touch milite pour une écologie repensant le lien qui unit l’homme à la nature dans une dimension plus affective et esthétique. L’image et
l’émotion au service de la conservation de la nature.
Pour en apprendre davantage, rendez-vous sur
Luc Jacquet
SCÉNARISTE ET RÉALISATEUR
Luc Jacquet est né à Bourg-en-Bresse en 1967. dès son enfance, il passe son temps à arpenter les montagnes de l’Ain. Comme il le dit lui-même, il aime vagabonder, se perdre dans les bois ; c’est
là qu’il apprend le bonheur de se fondre dans la nature pour observer le monde secret des animaux et des plantes au fil des saisons.
Luc est attiré par l’approche scientifique : en 1991, il passe une maîtrise de biologie animale à l’université de Lyon I. Il prépare ensuite un Master Recherche (ex-DEA) en gestion des milieux
naturels montagnards à l’université de Grenoble. Durant ses études, il participe à de nombreuses campagnes de terrain ayant pour but d’étudier le comportement animal et l’écologie de différentes
espèces.
C’est dans le cadre de sa formation scientifique qu’il a l’opportunité d’un premier voyage en Antarctique pendant quatorze mois. À 24 ans, il part ainsi en mission d’ornitho-écologie polaire pour
le CNRS, et séjourne à la base française Dumont d’Urville. Au cours de cette mission, il assure également le rôle de cameraman du film LE CONGRÈS DES PINGOUINS, pour le réalisateur suisse H.U.
Schlumpf. C’est là qu’il découvre sa passion pour l’image et commence sa carrière de cameraman, puis de réalisateur, de documentaires animaliers. La plupart de ses documentaires se réalisent en
Antarctique ou sur les îles australes : conquis par ces terres magiques, il passe en tout trois ans sous les 40e degrés de latitude sud. De ces différents
séjours autour du sixième continent naît son premier long métrage de cinéma, LA MARCHE DE L’EMPEREUR, l’histoire
du peuple des manchots empereurs survivant au climat le plus extrême de la planète. Incroyable succès et multi-primé, le film est récompensé par l’Oscar du meilleur film documentaire à Los
Angeles en 2006.
Après le succès mondial de ce premier film, Luc Jacquet réalise un autre projet qui lui tient à cœur depuis longtemps : LE RENARD ET L’ENFANT, une inoubliable histoire d’amitié à travers deux
mondes que tout semble séparer, l’homme et l’animal. Le film rassemble plus de 2,5 millions de spectateurs en France et est diffusé dans près de 50 pays.
Parallèlement, Luc Jacquet s’engage davantage en faveur de la préservation de l’environnement : en 2010, il lance l’association Wild-Touch et met son savoir-faire, l’image et l’émotion, au
service de la protection de la nature.
FILMOGRAPHIE
2007
LE RENARD ET L’ENFANT
Production : Bonne Pioche
2005
LA MARCHE DE L’EMPEREUR (Oscar du meilleur film documentaire, quatre nominations aux César dont celui du meilleur premier film pour Luc Jacquet, et le César du meilleur son, National Board of
Review Award du meilleur documentaire, entre autres prix et nominations) Production:BonnePioche
2004
DES MANCHOTS ET DES HOMMES (TV) (coréalisation avec J. Maison) Production:BonnePioche
ANTARCTIQUE PRINTEMPS EXPRES (TV) Production : Bonne Pioche
SOUS LE SIGNE DU SERPENT (TV)
2001
LA TIQUE ET L’OISEAU (TV)
2000
UNE PLAGE ET TROP DE MANCHOTS (TV)
1999
L’ASTROLABE EN TERRE ADÉLIE (TV) LE LÉOPARD DE MER : LA PART DE L’OGRE (TV)
1996
LE PRINTEMPS DES PHOQUES DE WEDDELL (TV)
Francis Hallé
BOTANISTE
Francis Hallé est né en 1938 en Seine-et-Marne. Ce botaniste et biologiste est spécialiste des arbres et des forêts tropicales. Ses connaissances pointues ne l’ont jamais empêché de contempler la
beauté du règne végétal et de s’émerveiller de son ingéniosité. Professeur aux universités d’Orsay (1960), Brazzaville (1968), Kinshasa (1970) et Montpellier (1971-99), Francis Hallé a consacré
de nombreuses années d’études aux plantes tropicales, en particulier celles des forêts humides de basse altitude. Sa passion l’a mené jusqu’aux tropiques, où au cours de ses nombreux voyages il a
regardé vivre les arbres et les hommes, et s’est posé des questions décisives sur ce qu’il a appelé la condition tropicale. Dans certains pays, il a séjourné plusieurs années.
Indigné par le fait que l’industrie du bois privilégie le profit immédiat en détruisant ces forêts qui abritent l’essentiel de la biodiversité de notre planète, il s’attache désormais à dénoncer
la destruction des dernières forêts primaires des tropiques, dont les pays industrialisés sont les principaux responsables.
Francis Hallé est membre correspondant du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. Son savoir et ses actions lui ont valu de nombreuses distinctions dont celle de l’Explorer Club de New
York. Loin de tenir un discours hermétique, Francis Hallé sait intéresser son public à la science des arbres, aux structures florales ou encore à l’architecture des plantes vasculaires.
BIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Un jardin après la pluie – éditions Armand Colin (2013) Du bon usage des arbres – Actes Sud (2011) La Condition tropicale – Actes Sud (2010) Plaidoyer pour l’Arbre – Actes Sud (2005)
Architectures de Plantes – JPC (2004)
Le Radeau des Cimes (en collaboration avec Dany Cleyet-Marrel et Gilles Ebersolt) – J.C. Lattès (2000) Eloge de la Plante – Le Seuil (1999)
Francis Hallé souhaite depuis vingt ans réaliser un grand film sur ces forêts qui lui tiennent tant à cœur, et dont il prédit la disparition sous dix ans.
Le Radeau des Cimes : au début des années 80, Francis Hallé est persuadé de la richesse biologique de la canopée, mais se trouve confronté à la difficulté d’y accéder. C’est suite à la rencontre
de Dany Cleyet-Marrel, aéronaute expérimenté et aventurier, que la piste d’une structure gonflable couplée à une montgolfière semble la plus prometteuse. De son côté, Gilles Ebersolt, architecte
pour le moins original, a imaginé la plateforme.
Le Radeau des Cimes est né. Ce formidable outil de prospection a enfin permis un accès facile à la canopée.
Missions consacrées à l’étude des canopées des forêts équatoriales :
2012
Exploration des canopées dans la vallée de la rivière Hin Boun, Laos central
2010
Voyage au Laos pour préparer l’exploration des canopées
2006
Espiritu Santo (Vanuatu)
2003
Panama, San Lorenzo
2001
Madagascar, Tampolo, Péninsule Masaola
1999
Gabon, La Makandé
1996
Guyane française, Paracou et crique Voltaire
1991
Cameroun, Camp Akok, réserve de Campo
1989
Guyane française, Petit Saut
1986
Guyane française, Crique Couleuvre
Francis Hallé a créé l’association « Forêts tropicales humides : Avenir » fin 2009. Elle a pour mission de s’opposer à la destruction des forêts tropicales humides. Président : Francis Hallé
Secrétaire : Vincent Lajarige (profession : plasticien) Trésorier : Edmond Dounias (profession : ethnoécologue)